Une photographe s’est immiscée dans l’intimité de mannequins adolescents

Une photographe s’est immiscée dans l’intimité de mannequins adolescents

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© Zosia Prominska

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Par Lise Lanot

Publié le

Après 15 ans de carrière dans le mannequinat, la photographe Zosia Prominska est passée de l'autre côté de l'objectif.

À 15 ans, Zosia Prominska se faisait repérer par une agence de mannequinat de sa ville de Poznań, en Pologne. Quelques mois plus tard, l’adolescente était envoyée en autobus à Paris, “sans téléphone portable, adresse mail ou carte de crédit”.

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Ne parlant pas le français et peu l’anglais, elle se heurtait alors avec difficulté “au monde de la mode et aux réalités de la vie d’adulte”, loin de chez elle, de ses ami·e·s, de sa famille et de son école. Ses quinze années de mannequinat lui ont fait découvrir son véritable amour, la photographie, un domaine qui l’attira de plus en plus et qu’elle pratiqua “de façon instinctive” jusqu’à ce qu’elle décide de l’étudier à l’université, à Varsovie.

“Iza”. (© Zosia Prominska)

En 2018, devenue adulte, elle débute sa série Future Perfect. Le projet naît du croisement de ses expériences passées et actuelles, d’une part de jeune mannequin et, d’autre part, d’observatrice “depuis la perspective d’une photographe adulte”. C’est la dissension qu’elle a ressentie entre comment on lui demandait d’agir et ce à quoi on lui demandait de ressembler qui l’a poussée à réaliser ces portraits de mannequins adolescent·e·s :  

“On me demandait d’être mature et, en même temps, c’était grâce à ma jeunesse que je naviguais au sein de cette industrie. Je me souviens d’une conversation très sérieuse que j’ai eue avec une directrice d’agence. Elle m’avait dit, l’air très déçu, que je ressemblais à une lycéenne. Je me souviens avoir trouvé ça absurde parce que, effectivement, j’étais en seconde.”

“Muse”. (© Zosia Prominska)

La photographe nous confie également sa “fascination”, adolescente, d’avoir dû “jouer des rôles” aux antipodes de ses réalités sociales et économiques :

“On m’habillait avec des tenues haute couture très chères que je n’aurais même pas pu rêver de m’acheter, puis je devais rentrer dans la chambre que je partageais avec trois autres mannequins dans un appartement crade. Parfois, on me demandait de prendre un air sexy devant l’objectif. Ces images d’une jeune fille stressée de 16 ans qui imite quelque chose qu’elle ne comprend pas encore sont très troublantes.”

Confronter les “paillettes” du mannequinat à la réalité de l’adolescence

Zosia Prominska met en avant cette dualité en immortalisant ses modèles (des mannequins signé·e·s en agence) portant de coûteux vêtements dans leur propre chambre, “et pas dans un studio où aurait normalement lieu un shooting de mode normal”.

“Dominika”. (© Zosia Prominska)

En montrant l’intimité de ces jeunes gens – laissant leurs peluches, sacs, carnets et objets personnels comme autant d’indices de leur jeune âge et de leur personnalité –, elle confronte “les univers du privé et du professionnel”, “la réalité du collège ou du lycée et les rêves et espoirs de projecteurs de mode.” “En entrant dans leur sphère privée, on ne les juge plus seulement sur leur apparence parfaite ; on les voit enfin comme de jeunes humains”, poursuit Zosia Prominska.

Connaissant pertinemment le peu de liberté accordée aux mannequins en shooting, l’artiste a réfréné tout excès de mise en scène, pour éviter que les jeunes se sentent instrumentalisé·e·s. En photographiant de si jeunes modèles, Zosia Prominska était consciente que son projet puisse “causer une controverse, surtout dans le monde de la mode”. 

“Ola”. (© Zosia Prominska)

Un projet sur le mannequinat… et sur le fait de grandir

Cette perspective ne l’a cependant pas empêchée de mener son projet à bien, gardant en ligne de mire son objectif de créer une série qui plairait, avant toute autre chose, aux ados. Elle insiste d’ailleurs sur les précautions prises lors des shootings : 

“Photographier de si jeunes gens demande bien plus d’exigence qu’avec des adultes. Il faut faire preuve de bien plus d’empathie et d’attention, savoir réagir vite lorsqu’un vêtement est trop petit, par exemple. Il faut se rendre compte que quelque chose qui peut paraître petit et banal peut leur faire du mal.

Tout, du sujet de conversation à la direction photo, doit être adapté. Malheureusement, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Je trouve ça fou que dans un monde rempli de personnes créatives, la plupart d’entre elles ne parviennent pas à se mettre à la place des mannequins.”

Le livre qui compile ces images n’est pas uniquement focalisé sur le monde du mannequinat junior. Zosia Prominska souhaitait mettre en lumière “la vie d’un adolescent en Pologne de nos jours”, ainsi que “l’obsession de la perfection et de la jeunesse visible dans l’art depuis toujours”. Future Perfect met en images les limbes dans lesquelles se trouve chaque enfant au tournant de son adolescence et chaque adulte, plus fréquemment qu’il n’ose peut-être l’admettre.

“Ala”. (© Zosia Prominska)

“Natalia”. (© Zosia Prominska)

“François et Roman”. (© Zosia Prominska)

“Nika”. (© Zosia Prominska)

“Tymon”. (© Zosia Prominska)

“Rafal”. (© Zosia Prominska)

“Damian”. (© Zosia Prominska)

Couverture de “Future Perfect” de Zosia Prominska, publié aux éditions Kehrer Verlag.

Le livre de Zosia Prominska, Future Perfect, est disponible chez Kehrer Verlag.