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Ali Mobasser revient sur la vie de sa tante grâce à ses photos d’identité

Ali Mobasser revient sur la vie de sa tante grâce à ses photos d’identité

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Par Dounia Mahieddine

Publié le

De son enfance en Iran à sa vie d’exil au Royaume-Uni, Ali Mobasser nous raconte l’histoire de sa tante Afsaneh, à travers des photos d’identité.

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Née dans les années 1950 à Téhéran, en Iran, Afsaneh a eu une enfance privilégiée. Elle a étudié dans les meilleures écoles et a vécu dans les plus belles maisons de la ville. En 1979, tout a changé à cause de la révolution, lorsque tous les biens de sa famille ont été saisis. Près de 40 ans après l’instauration du régime des mollahs, l’histoire d’Afsaneh parle à de nombreux Iraniens.

Son neveu, le photographe Ali Mobasser, lui a consacré une série en trois volets qui est bien plus personnelle qu’un simple récit de la diaspora iranienne. La partie qui nous intéresse ici, composée de simples photos d’identité, est intitulée “Afsaneh, Box III”. Le photographe revient pour nous sur l’histoire de sa famille :

“Mon grand-père a dû se cacher pour éviter d’être capturé et exécuté. Alors que la révolution faisait rage, Afsaneh, encore adolescente, est restée à l’hôpital au chevet de sa mère mourante. Une fois cette dernière décédée, elle a rejoint son père au Royaume-Uni pour demander l’asile. Les deux ne pouvaient plus jamais revenir en Iran.

En 1985, à l’âge de 8 ans, ma mère m’a envoyé vivre avec Afsaneh, mon père et mon grand-père à Londres, alors que j’habitais aux États-Unis. Afsaneh était une mère de substitution qui m’a traité comme son propre fils (elle était célibataire et sans enfants). Après mon départ de la maison, mon père et sa sœur ont vécu ensemble jusqu’à la mort subite d’Afsaneh en 2013, alors qu’elle était âgée de 56 ans.”

Après avoir étudié les beaux-arts, Ali s’est tourné vers la photographie car celle-ci lui permet d’illustrer ses idées plus rapidement : “Je voulais être un artiste, mais je n’avais pas encore la maturité émotionnelle pour m’exprimer.” À la mort de sa tante, le photographe a trouvé une boîte dans un placard contenant tous ses documents personnels. Il a donc décidé de se lancer dans ce qu’il appelle une “collaboration”, en immortalisant les photos pour les archiver. Pour ce faire, il a décidé d’organiser sa série dans un ordre antéchronologique :

“Les documents me fixaient. Quand j’ai eu son histoire sous les yeux, j’ai décidé de renverser l’ordre. C’était une décision sous le coup de l’émotion, parce que je voulais que l’histoire de ma tante se termine avec ses plus belles et heureuses années, en Iran. J’aimais et je respectais Afsaneh, plus que mes propres parents.

C’était sa sensibilité, sa façon de me soutenir et son sens de l’empathie qui m’ont permis de devenir ce que je suis et, finalement, de créer cette série. On a d’une certaine façon collaboré et ça permet à son histoire de ne pas passer inaperçue. C’est un sentiment merveilleux de lui rendre cet hommage et de savoir qu’elle m’a aidé à le faire.”

Ali confie aussi avoir reçu l’email d’un Iranien vivant au Canada trois ans après la mort de sa tante. Il décide de partager avec nous le mail en question, qui décrit la vie d’Afsaneh à l’âge de 11 ans, vue à travers les yeux d’un petit garçon fou amoureux d’elle :

“Cher Ali,

Vous ne me connaissez pas, par contre, j’ai connu votre tante, Afsaneh, depuis la primaire à la Raveshe No-School. J’ai tenté de retrouver Afsaneh durant des années. Elle était (et elle est toujours) en lien avec mon passé en Iran. J’ai quitté l’Iran depuis presque 40 ans, mais quelques personnes perpétuent ce lien entre moi et mon enfance à Téhéran, et Afsaneh est le symbole d’un temps perdu que je chéris depuis des années. Récemment (et par pur accident), j’ai découvert qu’elle était morte, ce qui m’a beaucoup attristé, au point d’être forcé à me repasser tous mes souvenirs avec elle. J’ai donc décidé de vous écrire.

Afsaneh a été le premier amour de ma vie ! Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’étais fou amoureux, je l’adorais et je garde le souvenir de ce premier amour depuis toutes ces années. Tout le monde dans ma famille, y compris ma femme, sait que ma première expérience amoureuse était lors d’un déjeuner dans la cour de l’école.

Je m’apprêtais à faire de la balançoire quand j’ai vu cet ange qui grimpait devant moi, j’ai pu entrevoir ses sous-vêtements jaunes, elle s’est retournée pour me regarder, et mon cœur a fondu en voyant le visage de la plus belle fille que j’ai jamais vue. J’en suis resté sans voix et je suis instantanément tombé amoureux d’elle. Mes copains l’ont découvert et ont commencé à me taquiner sur ça, si bien qu’Afsaneh a fini par le savoir. Je peux encore me souvenir des moments où je me mettais à espérer que d’une certaine façon mon chemin croise le sien, pour que je puisse voir son beau sourire et ses yeux pétillants.

Elle avait un an de plus que moi, et l’un des moments les plus tristes de ma scolarité était le jour où elle est partie. Pendant des années, j’ai essayé de trouver le collège où elle était, mais sans succès. J’ai quitté l’Iran pour les États-Unis en 1976 et je n’aurais jamais pensé la retrouver. J’ai commencé à la chercher à la fin des années 1980, grâce à Internet. Je sais que ce n’était qu’un amour d’enfance, mais ayant été un enfant sentimental et émotif, Afsaneh m’avait profondément touché. J’avais espéré qu’un jour je puisse la revoir, pour lui dire tout ce que je ressentais.

Je serai à Londres pour une conférence début mai, et si vous souhaitez que nous nous rencontrions pour discuter d’Afsaneh, faites-le moi savoir.

Cordialement,

Ed.”