Arles 2018 : le photographe Chandan Gomes reconstruit son histoire d’amour virtuelle en images

Arles 2018 : le photographe Chandan Gomes reconstruit son histoire d’amour virtuelle en images

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

À l’ère de Tinder et des réseaux sociaux, le photographe indien retrace une histoire d’amour virtuelle de deux ans dans une exposition présentée aux Rencontres photographiques d’Arles.

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Dans notre ère numérique, le mot “rencontre” a totalement perdu de son sens. On peut dire que l’on a rencontré quelqu’un simplement parce qu’on l’a ajouté sur Facebook et qu’on lui parle de temps en temps. On se surprend même à dire : “Je l’ai rencontré·e sur Internet.” L’amour, lui aussi, se pixélise à travers des conversations numériques nocturnes à la fois aléatoires, trop rapides et profondes. Nos avatars deviennent des personnages que l’on incarne et que l’on fantasme derrière l’écran.

Le photographe Chandan Gomes fait un tour d’horizon de ce à quoi ressemble l’amour sur Internet, aujourd’hui, à travers sa série People You May Know (“Des personnes que vous pourriez connaître”, en hommage à la célèbre mention Facebook qui invite à ajouter de nouvelles personnes qu’on ne connaît pas forcément), présentée en ce moment aux Rencontres photographiques d’Arles.

Durant deux ans, Gomes a entretenu une relation épistolaire virtuelle avec une inconnue, Tara Banerjee, qui l’a ajouté par hasard sur Facebook. Tout a commencé par un “Who are you?” (“qui es-tu ?”), et ils ne se sont jamais rencontrés. Pourtant, Chandan Gomes est capable de reconstruire cette rencontre numérique avec la même émotion qu’une rencontre réelle.

E-love

À travers une installation située dans une pièce rappelant sa chambre, remplie de photos et de captures d’écran de ses conversations avec Tara sur différentes plateformes (textos, Skype, Messenger…), le photographe dresse une timeline non chronologique et non linéaire de sa relation avec la jeune femme.

En filigrane, tout autour de cette timeline horizontale, se déploient des bribes de souvenirs et d’événements qui lui sont arrivés durant cette relation : la perte de mémoire de sa mère ou encore des films qu’il a vus à cette période (on reconnaît un Wong Kar-wai, Sin City et Eternal Sunshine of the Spotless Mind sur un mur), des photos de son enfance, des fragments de textes et de mémoire.

Chandan Gomes nous plonge ainsi dans les profondeurs de son intimité partagée avec Tara : de messages très personnels et dépressifs à quelques sextos échangés entre les deux e-amoureux… L’artiste nous fait passer d’un sentiment de découverte à celui d’engouement, puis se profilent petit à petit la distance et la jalousie.

Vient ensuite l’influence du numérique sur leur vie réelle (on peut par exemple lire la rupture du photographe avec son ex-petite copine après avoir pris conscience de ses sentiments palpables pour Tara), et une sorte de résignation de la rencontre qui ne se fera jamais, qui mènera inexorablement à la quête de l’autre et à un certain jeu de se trouver dans le vaste monde.

Vers un nouveau discours amoureux

Dans ce travail, le photographe se demande si une relation réelle n’aurait pas au final la même valeur qu’une relation virtuelle. Au cours de l’exposition, on peut voir un parallélisme entre ses discussions profondes avec Tara et de banals messages d’anniversaire annuels envoyés à des personnes qu’il connaît pourtant dans la vraie vie.

“Souvent, je lui parle sur Facebook alors que je suis en compagnie de mes véritables amis, de ma famille, en un mot de ces gens que je prétends aimer. L’écran de mon ordinateur portable devient un bricolage de captures d’écran de nos conversations, de photographies et de films que nous avons échangés, de documents tirés de mon passé − comme des entrées de journaux intimes ou des clichés issus d’albums de photographies de famille −, ainsi que diverses fenêtres de chats ou de navigateurs.

J’arrange avec un grand soin tous ces éléments sur l’écran de mon portable avant de le photographier dans l’obscurité de ma chambre, avec pour seule lumière le scintillement de l’écran. Dans ces images, je confesse mes sentiments quant à la perte de mémoire de ma mère, mon séjour en sanatorium ou encore mon désir de plus en plus lancinant de retrouver Tara dans le monde réel”, raconte-t-il.

Il précise qu’à travers ce travail, il a voulu essentiellement mettre en lumière “la manière dont notre dépendance à Internet a donné une nouvelle forme à nos interactions sociales, à nos habitudes sexuelles et à la manière dont nous nous comprenons nous-mêmes”.

Ainsi, ce travail prend davantage la forme d’une quête identitaire, d’une construction de son moi numérique et de Tara en tant qu’être de pixels, qu’un sombre récit sur deux inconnus qui ne se rencontreront jamais. Sur un mur, Chandan compose de toute part Tara à travers des collages de photos découpées dans des magazines. “Dans le monde virtuel, chacun s’approprie et imite celui qu’il ou elle aimerait être, tout en cachant ce qu’il est véritablement”, ajoute-t-il.

À travers une esthétique triste (très proche de ce qu’on peut voir sur Tumblr) et une approche sincère, Chandan Gomes nous oriente vers une réflexion universelle, comme le sous-entend le nom de son exposition : “Des personnes que vous pourriez connaître”. Le “vous” s’adresse au visiteur, comme un clin d’œil qui le mène automatiquement à l’identification. On se sent inclus dans son histoire d’amour pixélisée, et on ne va pas se mentir, qui d’entre nous n’a jamais vécu un digital love ?

“Des personnes que vous pourriez connaître”, exposition de Chandan Gomes à voir aux Rencontres photographiques d’Arles, au Ground Control, jusqu’au 23 septembre 2018.