Rencontre : les camps de réfugiés en Afrique du Sud photographiés par Pieter de Vos

Rencontre : les camps de réfugiés en Afrique du Sud photographiés par Pieter de Vos

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© Pieter de Vos

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Par Lise Lanot

Publié le

25 ans après l'apartheid, le photographe publie un livre photo croisant des histoires personnelles et un récit collectif.

Pieter de Vos est né en Afrique du Sud mais n’y a pas grandi. Souhaitant se rapprocher d’un pays gangrené par le racisme et les violences – vis-à-vis duquel il entretenait une relation difficile – il a entamé un travail de recherche anthropologique dans un camp de réfugié·e·s à Pretoria, la capitale administrative du pays. En parallèle de ce travail et face aux situations difficiles auxquelles il était confronté, Pieter de Vos a décidé de “canaliser ses émotions” muni de son appareil photo. 

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Ces huit dernières années, son projet scientifique est devenu artistique et “l’examination visuelle de [s]on histoire individuelle” est devenue “une odyssée permettant d’adresser les enjeux sociaux de [s]on pays et du reste du monde”. Au contact de Donald Banda, personnage central de son livre photo Homelands : Life on the Edge of the South African Dream et habitant du camp de Pretoria, Pieter de Vos a tenté de raconter l’histoire d’un pays qui souffre encore des ravages de l’apartheid et d’une amitié entre un homme blanc et un homme noir que tout semble séparer au premier abord.

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Les monochromes de l’artiste posent des questions d’identité et d’appartenance à une nation, à une culture et à une classe sociale tout en soulevant des réflexions sur des problématiques existentielles. Nous avons eu la chance de poser quelques questions au photographe qui vient de publier son ouvrage compilant huit années de travail.

Cheese : Bonjour Pieter, peux-tu nous en dire un peu un peu plus sur Homelands ?

Pieter de Vos : Homelands doit ses origines à l’Afrique du Sud, pays dans lequel je suis né et où j’ai entrepris des travaux documentaires et narratifs il y a huit ans. Le village de Woodlane avait alors retenu mon attention. C’est un squat situé à Pretoria. Ce campement informel abrite 3 000 personnes réparties dans 846 baraquements. Le camp est situé dans une banlieue riche et est entouré de manoirs et de centres commerciaux.

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Woodlane Village a été créé sur ordonnance du tribunal après des années de litiges. De nombreux·ses résident·e·s sont des migrant·e·s politiques ou économiques venant du Zimbabwe, du Mozambique, du Lesotho et d’Afrique du Sud. Avant d’obtenir ces habitations, ces personnes étaient maltraitées par les forces de police. On détruisait leurs baraquements, on incendiait leurs champs et on leur tirait dessus.

“Je voulais comprendre comment ces personnes vivaient le fait d’appeler ‘leur maison’ un endroit où l’on se ne sent pas le bienvenu.”

© Pieter de Vos

J’ai connu le village de Woodlane en 2011 lors d’un échange entre des chercheur·se·s canadien·nne·s et sud-africain·e·s visant à comparer les situations de mal-logement entre les deux pays. Je terminais une thèse en anthropologie à l’époque. Ce qui m’a attiré à Woodlane Village, c’est son contexte de justice sociale. Je voulais comprendre comment ces personnes vivaient le fait d’appeler “maison” un endroit où l’on se ne sent pas le bienvenu. Je voulais aussi faire la paix avec ma propre histoire et rétablir un lien avec mon pays d’origine.

Qui est Donald Banda, le personnage central de ton ouvrage ? Comment l’as-tu rencontré et comment as-tu travaillé avec lui toutes ces années ?

Mon premier travail de terrain à Woodlane Village usait des méthodes ethnographiques et narratives. Les deux premières années, je me suis concentré exclusivement sur la mise en place d’une relation entre les résident·e·s et moi. Je collectais leurs histoires. On échangeait autour de feux de camp, dans la rue, sur les stades de foot, en voiture, dans les baraquements – là où la chaleur de nos souffles se condensait sur leurs toits en métal froid – ou dans les communes grouillantes aux alentours de Pretoria.

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Avec leur accord, j’ai enregistré et retranscrit des centaines d’heures de conversations. C’est grâce à ce processus que j’ai rencontré Donald, un leader de la communauté et tailleur local. Notre relation s’est développée au fur et à mesure que je m’asseyais auprès de lui, pendant qu’il retouchait des vêtements tard dans l’après-midi.

“Très tôt dans notre relation, Donald m’a confié qu’il avait envie depuis longtemps que son histoire soit racontée. Mais il n’avait jamais eu les moyens de le faire. Notre collaboration est devenue un véhicule pour sa voix.”

Donald a grandi près des baraquements. Il se souvient du temps où l’endroit n’était peuplé que de terres agricoles, avant que les banlieues chics ne soient installées – et avant que sa famille ne soit forcée à être délocalisée pendant l’apartheid. Il décrit sa “maison” comme l’endroit où les cordons ombilicaux de ses prédécesseur·e·s ont été plantés et le sol où ses proches sont enterrés.

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Très tôt dans notre relation, Donald m’a confié qu’il avait envie depuis longtemps que son histoire soit racontée. Mais il n’avait jamais eu les moyens de le faire. Notre collaboration est devenue un véhicule pour sa voix. En 2015, j’ai commencé à documenter la vie de Donald. Après des années d’immersion dans son monde, j’ai fini par sentir que j’étais assez informé pour que mes photos accompagnent son histoire. Créer des images est devenu un moyen d’honorer mon engagement, de mettre en lumière son histoire.

Comment as-tu commencé ce projet ? Avais-tu des idées préconçues avant de l’entamer et, huit ans plus tard, ces idées ont-elles changé ?

À l’origine, l’épicentre de mon travail photographique, c’était Donald dans le camp. Dans son stand, il y avait une cour entourée de barrières en bambou où il rencontrait ses voisin·e·s et divertissait ses invité·e·s. Finalement, mon champ de vision s’est étendu lorsque j’ai rencontré sa famille et ses ami·e·s dans les bourgs voisins de Mamelodi, Soshanguve et Winterveld.

Ces huit dernières années, j’ai eu le privilège de voir à quel point la vie de Donald était remplie et comment il gérait sa situation, son sentiment d’appartenance à un endroit, ce qu’il choisissait d’appeler “sa maison”. Son monde est bien plus vaste que les luttes quotidiennes vécues dans le camp. Son univers s’étend loin au-delà des limites du campement.

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En fait, je crois que je n’ai vraiment commencé à connaître Donald que lorsque nous nous sommes échappés du confinement du camp pour aller dans d’autres endroits qu’il considérait comme sa maison. C’est seulement grâce à ces visites que j’ai compris le réel dynamisme de sa nature. […]

Ma collaboration avec Donald montre tout ce qui peut naître de l’expérience humaine. Quand on entre dans des communautés, on rencontre des individus en train de vivre un moment précis et nous, êtres humains également, sommes aussi à un moment particulier de notre vie.

“La vie est une accumulation de merveilles. C’est un mélange, c’est mouvant. On croit tout savoir, et on se retrouve de l’autre côté et on découvre quelque chose de nouveau, aux multiples reflets.”

© Pieter de Vos

Le défi de la pratique documentaire est d’accueillir la totalité de ces possibilités. Il y a une ouverture à la narration. Les récits sont modifiés selon la façon dont on raconte, dont on re-raconte et dont on revit les choses. La vie n’est pas statique. Comme le dit Donald : “La vie est une accumulation de merveilles. C’est un mélange, c’est mouvant. On croit tout savoir, et on se retrouve de l’autre côté et on découvre quelque chose de nouveau, aux multiples reflets.”

Rencontrer Donald a également constitué un véritable tournant dans mon histoire personnelle avec l’Afrique du Sud. Étant donné que je suis originaire de Pretoria et que je suis descendant d’Afrikaner, le mélange de mentalités et d’histoires ayant eu lieu durant les échanges que j’avais avec Donald était particulièrement profond et surprenant. Comme le disait Donald : “Il y a une histoire dans notre histoire”, faisant allusion à la façon dont notre amitié défiait l’héritage raciste de notre terre d’origine.

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Ces huit dernières années, nous avons été endeuillés ensemble et nous avons célébré de nouvelles unions. Quand je me suis marié en 2014, j’ai emmené ma femme Rachel pour qu’elle rencontre Donald et il est venu en voyage de noces avec nous. En 2015, j’étais témoin du mariage de Donald avec Rose. En 2017, j’ai aidé Donald et Rose à obtenir un nouveau terrain dans une autre communauté, où ils ont établi ensemble leur nouvelle maison.

Qui sait où cette aventure nous mènera ensuite ? En tant qu’êtres humains, nos vies sont toujours en mouvement. Il n’y a pas de récit final et pas d’histoire définitive à raconter. De nouvelles choses sont toujours en train d’émerger.

Selon toi, que disent tes images de l’Afrique du Sud ?

Les images et l’histoire de Donald personnifient ma terre d’origine, elles lui donnent de la consistance. C’est un lieu rempli de promesses et de douleurs, un lieu de persévérance et de foi, un lieu où des histoires personnelles révèlent des vérités sociales complexes. 25 ans après l’apartheid, l’Afrique du Sud est toujours une des nations les plus inégalitaires du monde.

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Des écarts de revenus grandissants et la violence gangrène le tissu social. Pourtant, malgré ces problèmes, notre terre a une vérité et une résilience à toute épreuve. Comme Donald le dirait : “Les générations vont et viennent. Mais le monde reste le même… Les gens se battent constamment, puis ils partent et font la paix à nouveau.” Il me rappelle fréquemment qu’“il y a un temps pour tout” :

“Un temps pour fabriquer, un temps pour déchirer, un temps pour pleurer, un temps pour être heureux, un temps pour faire la guerre et un temps pour faire la paix. Toutes ces choses ne sont pas des erreurs. Elles sont vouées à être, parce qu’elles sont là.”

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Tu peux nous en dire plus sur l’aspect proprement technique de ta pratique, notamment le grain de tes photographies ?

La plupart des images ont été prises avec des appareils Olympus. La robustesse de ces appareils (qui restent très discrets) était parfaite dans les camps où les conditions sont précaires et où il y a beaucoup de poussière. Les plus petits capteurs de ces appareils produisent un certain bruit lorsqu’ils sont exposés à beaucoup de lumière, c’est ça qui donne ce grain à la pellicule. Cet effet est ensuite accentué lors du traitement des photos.

Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?

Dans ce cas précis, j’ai choisi le noir et blanc parce que les alentours du camp étaient monochromatiques. La plupart des baraquements sont faits de plastique noir et de matériaux recyclés. La palette de noir et blanc m’a aidé à accentuer les lumières, les ombres et les textures, tout en maintenant le chaos visuel. Cela m’a également permis de créer une continuité à travers les différents lieux photographiés.

© Pieter de Vos

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Le livre de Pieter de Vos Homelands : Life on the Edge of the South African Dream est disponible aux éditions Daylight. Vous pouvez retrouver le travail du photographe sur son site.