Marcel le coquillage : promis, le film le plus émouvant de l’été est ce coquillage en baskets

Marcel le coquillage : promis, le film le plus émouvant de l’été est ce coquillage en baskets

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(© L’atelier des images)

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Par Paloma Clement Picos

Publié le

Ce projet imaginé par un couple d’artistes a commencé sur YouTube et terminé aux Oscars 2023. L’histoire de Marcel n’est pas celle que vous attendez et c’est là toute sa beauté.

Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est une bizarrerie. Dans l’idéal, on vous dirait même : ne cherchez pas à comprendre, allez-y simplement. Mais on va quand même essayer de vous raconter son histoire (sans spoiler) et celle de sa réalisation, qui aura pris une décennie. Parce que Marcel le coquillage est un ovni cinématographique.

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C’est une œuvre sur un documentaire, filmée comme un documentaire. C’est une fiction écrite tout en finesse et réalisme, avec beaucoup de références très méta à notre monde et au couple derrière ce projet, qui nous laisserait presque croire que les coquillages parlants existent vraiment et qu’on ne les a juste jamais remarqués. C’est un film en live action avec du stop-motion et de l’animation. D’ailleurs, le film a été nommé aux Oscars 2023 dans la catégorie Meilleur film d’animation.

C’est une petite douceur que les enfants aimeront même si ce n’est pas vraiment un film pour enfants, qui les laissera probablement dans une incompréhension sur plusieurs thèmes abordés et qu’ils ne questionneront pas trop, pendant qu’ils verront des adultes sortir de la salle de cinéma les yeux rouges et humides qui, eux, auront justement été touchés par les sujets évoqués.

Marcel est donc un coquillage qui vit seul avec sa grand-mère (qui est également un coquillage) dans une maison devenue un Airbnb depuis que le couple qui y vivait a quitté les lieux suite à son déménagement. Avec ce départ, toute la famille de Marcel a disparu, laissant notre mollusque seul avec Grand-Mère Connie. La maison est alors louée par Dean, un homme en plein divorce, réalisateur, qui découvre l’existence de Marcel et décide de l’aider à retrouver sa famille et de documenter la vie de Marcel et ses recherches pour en faire un film.

De cette quête et de cette rencontre naît Marcel le coquillage.

Jenny Slate, le cœur du projet

La genèse de ce projet vient de Jenny Slate. Marcel est d’abord une voix que la comédienne s’amuse à prendre pour faire rire ses amis, au point de devenir quasiment un genre d’alter ego un peu étrange par lequel elle peut dire plus de choses que par sa seule voix. Son mari de l’époque n’est autre que… Dean Fleischer Camp, le réalisateur. Ensemble, ils décident de donner vie à cette voix en l’attribuant à un coquillage que Dean imagine lui-même, et décident de l’appeler Marcel.

Début 2010, le couple réalise un court-métrage qu’il diffuse sur YouTube. C’est la première aventure de Marcel le coquillage.

Le court-métrage connaît alors un petit buzz. La vidéo cumule aujourd’hui plus de 33 millions de vues. Suite à ce succès suivront deux autres courts-métrages, toujours postés sur la chaîne YouTube de Dean Fleischer Camp et deux livres pour enfants. Le long-métrage mettra dix ans à voir le jour.

Dean a su réaliser avec justesse et virtuose un film en live action sur une créature en stop-motion, depuis sa chambre avec les moyens du bord en premier lieu, puis avec une équipe de plus de 500 techniciens quand l’œuvre est devenue un long-métrage. Jenny Slate a su faire d’une petite voix un brin insupportable un moyen de communiquer tout en finesse. Plus que la voix du crabe ermite et la plume du scénario, Jenny Slate est le cœur du projet. C’est elle qui donne tout son sens à une histoire qui, sur le papier, n’en a aucune, puisqu’il n’est jamais expliqué par quelle magie Marcel existe, ce qu’il est exactement, ni comment lui et sa famille sont arrivés là. Il n’est qu’un regard sur le monde et, en filigrane, celui de Jenny Slate.

Son parcours dans l’industrie est assez intrigant. Comédienne avant l’heure des réseaux sociaux, la native du Massachusetts, diplômée de la prestigieuse Université de Columbia, a écumé tous les bars de stand-up de New York au début des années 2000 avant d’être enfin repérée par un agent. Quelques pubs plus tard, elle décroche le Graal, la consécration : elle devient membre du Saturday Night Live en 2009… Mais ne reste qu’un an. Dès son premier sketch, elle lâche le mot interdit, “Fuck”, en direct à la télévision américaine. Les producteurs n’auraient pas du tout aimé.

En 2019, elle confie au magazine InStyle :

“Tout le monde pense toujours que je me suis fait virer pour avoir dit ‘Fuck’ : Ce n’est pas le cas, ce n’est pas la raison pour laquelle je me suis fait virer. Je n’avais tout simplement pas ma place là-bas. Je n’ai pas fait du bon boulot, il n’y a pas eu de déclic.

Une grande partie de mon travail, je l’ai créé moi-même. Les succès que j’ai eus sont très divers — certains petits, d’autres personnels, d’autres grand public. Je suis autrice d’un livre pour enfants devenu un best-seller du New York Times. J’ai fait toutes ces choses qui sont si dignes d’attention… Mais les gens continuent de vouloir associer mon succès au come-back d’un échec qui a été lié à la décision d’un homme qui ne comprenait pas mon art il y a 10 ans.

Je me demande simplement : si j’étais un homme, est-ce que les gens seraient tout aussi obsédés par le fait que j’ai dit une injure ?”

Une décennie de rebondissements

Jenny Slate s’est finalement épanouie dans la géniale sitcom Parks and Recreation. On l’a également aperçue dans la série Girls de Lena Dunham et dernièrement dans Everything Everywhere All at Once. Produit par A24 (évidemment), Marcel le coquillage (avec ses chaussures) signe le retour de Slate dans le studio indie cool après qu’elle a été le personnage principal de la romcom Obvious Child en 2014.

Pendant tout ce temps, elle a aussi continué le stand-up et Marcel a continué à faire partie de sa création artistique, jusqu’à ce que se concrétise le projet d’un long-métrage. Le scénario est prêt depuis quasi dix ans.

Le projet a pris une tournure bien plus personnelle avec les années puisque Jenny et Dean ont depuis divorcé. Leur collaboration artistique a continué, ce qui est admirable. On ne peut alors s’empêcher de se se dire qu’ils se parlent à travers ce film, quand, par exemple, Marcel dit à Dean :

“Tu sais Dean, ça ne t’a jamais traversé l’esprit que ta vie serait moins solitaire et plus riche si tu prenais le temps de te connecter aux gens plutôt que de faire des vidéos sur eux ?”

D’ailleurs, la photo de profil de Dean dans le film est une vraie photo de lui et Jenny Slate. Comme dans la vraie vie, le Dean du film publie plusieurs petites vidéos de son improbable colocataire sur YouTube. L’émission américaine phare 60 minutes et Lesley Stahl, sa véritable présentatrice, font également une apparition dans le film pour aider Marcel à retrouver sa famille. Méta, on vous dit.

Même si toute l’idée est partie d’une voix précise, vous ne perdez pas la beauté et la poésie de cette œuvre en la voyant en VF. Marcel reste un petit être bavard et mignon, comme un enfant qui dit tout ce qui lui passe par la tête, sans filtre, mais avec un recul bien plus mature, nous offrant ainsi des grands moments de philosophie aussi simples que profonds, sur la perte, le temps qui passe, ou sur les réseaux sociaux.

C’est un film drôle sans jamais être bête ou gênant, intelligent sans être snob, émouvant sans être intense. En ne prenant jamais Marcel de haut, le réalisateur (celui du film et celui qui a fait le film)  fait la même chose avec le spectateur et l’invite à donner de l’importance à la plus petite créature qui existe, à sa vision du monde et à ses sentiments.