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Qui était Jacques Villeglé, le “grand-père” de l’art urbain mort à 96 ans ?

Qui était Jacques Villeglé, le “grand-père” de l’art urbain mort à 96 ans ?

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© Patrick Kovarik/AFP

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Il lacérait les affiches publicitaires dans la rue et voulait "faire entrer la rue dans les musées" : retour sur la carrière de l’artiste Jacques Villeglé.

Jacques Villeglé, considéré comme le “grand-père” de l’art urbain, est mort à l’âge de 96 ans, a annoncé hier le Centre Pompidou, qui lui a consacré en 2008 une grande rétrospective. Le musée a salué “la mémoire d’un grand artiste, flâneur et collecteur d’affiches dont le travail singulier a marqué la seconde moitié du XXe siècle”.

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“Artiste honoré par tous les grands musées, ses œuvres font partie de notre imaginaire collectif et ont contribué à changer notre regard sur l’urbain, comme une invitation à se réapproprier la ville, à la contempler mais aussi à la remettre en question, à la bousculer”, a rendu hommage la maire de Rennes, Nathalie Appéré.

La ville de Saint-Malo travaillait “depuis des mois” en collaboration avec Jacques Villeglé “lui-même et ses filles” pour lui dédier une exposition estivale, a-t-elle indiqué dans un communiqué. “Le 9 juillet prochain, c’est empreints d’émotions que nous lèverons le voile sur le travail de ce formidable créateur, fondateur du street art” en France, a encore annoncé le maire de la ville bretonne, Gilles Lurton.

Faire entrer la rue dans les musées : les affiches lacérées

Membre fondateur du groupe des Nouveaux Réalistes en 1960, avec Arman et Yves Klein notamment, Jacques Villeglé, de son nom complet Jacques Mahé de la Villeglé, est né le 27 mars 1926 à Quimper et a étudié aux Beaux-Arts de Rennes puis de Nantes.

C’est avec son ami le plasticien photographe Raymond Hains, mort en 2005, qu’il décolle sa première affiche, en 1949, à Paris. L’artiste a toute sa vie arraché des murs les affiches déjà lacérées par des mains anonymes ou abîmées par les intempéries, pour composer d’immenses tableaux colorés. “Les affiches m’ont tout de suite intéressé. J’ai compris qu’avec elles, on verrait l’évolution du monde, les mots changer, de nouvelles couleurs”, avait-il expliqué à propos de ses travaux emblématiques à l’AFP lors de sa rétrospective au Centre Pompidou.

Réalisée pour la biennale de Paris en 1961 et considérée comme la plus ambitieuse de ses affiches lacérées, son œuvre Carrefour Sèvres Montparnasse a été est le fruit d’un hasard : “Je l’ai ramassée par terre”, racontait Jacques Villeglé en 2008.

“Avec un ami, on a pris trois taxis pour l’amener directement sur le lieu d’exposition. Dans les années 1960, on disait qu’il fallait amener le musée dans la rue. Moi, je disais que c’est la rue qui doit entrer dans les musées, qui sont un peu des cimetières. En Amérique, je suis considéré comme un précurseur du pop art avec Jasper Johns. Je suis sûr que c’est à cause de cette affiche-là”, poursuivait-il.

Très attiré d’abord par les jeux de lettres, qui lui rappellent le cubisme, Jacques Villeglé se détermine ensuite en fonction de son humeur, sélectionnant un ensemble de formes ou de couleurs, d’associations plus ou moins incongrues. Il décolle ensuite entièrement la superposition d’affiches et colle le tout sur une toile, “s’appropriant le geste créateur des autres”, selon Sophie Duplaix, conservatrice en chef des collections contemporaines au Centre Pompidou.

“Graphismes sociopolitiques”

Villeglé a aussi créé dans les années 1970 des “graphismes sociopolitiques”, écriture anonyme qui se déployait sur les murs du métro. Le street artiste rêvait de créer un alphabet qu’il pourrait mettre en valeur par la typographie. “Je cadre comme un photographe cadre ses photos” mais “il n’y a pas d’intervention sur l’affiche”, confiait l’artiste. “Chez les Nouveaux Réalistes, j’étais considéré comme un paresseux, à l’inverse de Jean Tinguely, qui travaillait, travaillait…”

Totalement abstraites, ses œuvres où éclatent le jaune, le rouge et le bleu, le noir et l’ocre, sont parfois plus pâles et comme floutées par la succession de couches de papier détrempées par la pluie. Des morceaux d’affiches publicitaires se télescopent avec des slogans ou des photographies d’hommes politiques, dont l’image a été détournée par des anonymes.

La fin des années 1980 a été pour Villeglé un “âge d’or” car il y avait “beaucoup d’affichage sauvage”, racontait-il. Le soir de l’élection présidentielle en avril 1988, “j’ai pris un camion, cinq types et nous sommes allés faire un tour. En une heure, j’ai fait toute une exposition”, s’amusait-il.

Konbini arts avec AFP.